Rachel Vincent-Clarke, Directrice chez Galerie Robertson Arès, a eu le plaisir de s'entretenir avec l'artiste multidisciplinaire franco-canadienne Delphine Huguet pour discuter de sa pratique artistique. Au cours de cet échange, Delphine nous parle de son processus créatif, des médiums qu'elle emploie pour véhiculer ses idées, en particulier à travers sa série de sculptures Nue, et partage ce qui l'anime actuellement dans son travail au studio. L'entrevue offre un aperçu de son processus créatif et de ses projets à venir, toujours marqués par une profonde réflexion sur les questions de genre et d'identité.

Dans votre série de sculptures intitulée Nue, vous abordez l'obsession sociétale et les stigmates entourant la poitrine féminine. Qu'est-ce qui vous a poussée à aborder ce sujet de cette manière ? 

Dans la série Nue c’est mon expérience du monde à travers mon corps que je dévoile, une expérience genrée au féminin. Dans Étude de Nu.e.s la réflexion se déplace justement vers une expérience mixte, emmêlée, non genrée, moins rigide.

J’ai pris conscience très jeune que mon premier point de rencontre avec l’autre était mon corps, et particulièrement ma poitrine. Que de ce corps découlait tout un corpus d’interdictions qui me contraignait dans mes droits et mon évolution. Quoi que je fasse, quoi que je dise, on me ramenait toujours à mon corps, joli, voluptueux, souriant, agréable. Toute ma valeur intellectuelle et créatrice disparaissait au profit de ce corps. La confrontation avec l’extérieur était d’autant plus rude qu’au sein de ma famille on ne m’avait pas appris que j’avais des droits différents par rapport à mon genre : on m’a appris à bricoler, à être aventureuse. Mon père m’a offert mon premier couteau pliant à 9 ans car j’aimais construire des cabanes dans le bois. Quand j’ai eu 11 ans, ma mère est décédée d’un cancer du sein, cet événement a aussi stigmatisé mon rapport à cette poitrine. Le sein qui a le pouvoir de chambouler une vie. Aujourd’hui, mon rapport à mon corps est plus doux et plus positif. Les questions de pudeur m’arrivent donc différemment. Alors que je cherchais dans le passé à cacher cette poitrine gênante, qui prenait trop de place, qui m’attirait des problèmes, je l’accueille aujourd’hui avec douceur, je la trouve puissante, marqueur identitaire, source de plaisir. 

Dans ce sens j’ai voulu amener un message positif. Plutôt que de la cacher, je voulais l’ériger en monument. En affichant un sein au mur ou au plafond je souhaite désexualiser le sein, l’afficher pour qu’il ne soit plus une source de pudeur, de contrainte. Je voulais que ce sein ne soit plus un symbole sexuel. Ainsi, j’ai dessiné ces sculptures de manière très architecturées, nobles, 8 sections de tissus, très régulières viennent former un mamelon parfaitement circulaire. Le tissu est un drap de laine italien teint à la main avec différentes plantes. Chaque couleur est unique comme chaque teinte de peau à travers le monde. Il y a une sorte d’universalité dans ce projet car la problématique autour du corps des femmes est un sujet universel et cette quête de liberté et de neutralité par rapport aux corps féminins m’anime profondément. J’ai choisi le textile car j’y trouve un côté tactile et relationnel que je trouve important dans le rapport à cette sculpture. 

Votre pratique est multidisciplinaire, englobant performances, installations et sculptures. Comment choisissez-vous le médium le plus approprié pour exprimer vos idées ? 

Je crois que c’est justement comme je souhaite exprimer des idées que j’ai une pratique multidisciplinaire. Mon travail est un mélange entre une approche conceptuelle de l’art et une approche technique et matériaux. Il me semble que chaque médium détient déjà une idée dans son processus ou de par son histoire. Le travail de teinture et de couture, par exemple, est historiquement fait par les femmes et plus relié à l’artisanat qu’à l’art. Ces confections étaient destinées à la création d’objets utilitaires. Il demande du temps, de la technique et découlait d’un besoin précis : se vêtir pour survivre au froid, se couvrir. Le savoir-faire peut paraitre domestique car les résultats sont utilitaires et aussi aléatoires de par le fait de travailler avec des matériaux naturels. Selon les plantes, l’endroit ou le moment de récolte, ce n’est jamais la même couleur qui sortira. Néanmoins plus je travaille la teinture et plus je découvre le côté scientifique de la pratique, je viens jouer sur les taux d’acidité pour changer le PH de mes liquides ou encore je travaille sur les oxydations pour arriver à des teintes précises que j’ai définies en récoltant des photos de peau et de mamelons autour de moi. Chaque geste est consciencieusement documenté pour pouvoir être répété. J’aime cette alternance entre empirique et scientifique et la surprise des différents résultats. J’approche le travail de couture comme un travail de dessin, je n’ai pas de contraintes utilitaires mais plutôt des questions de proportions, de mise en espace, d’appréhension de la forme. En approchant cette technique historiquement féminine de cette manière mais en l’utilisant pour créer des oeuvres et non des objets utilitaires, je viens déjà me positionner dans une revendication sur la place des femmes juste par le médium. 

Vous mentionnez l'importance de sublimer le médium pauvre par le geste technique. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre processus créatif et comment vous choisissez vos matériaux ? 

La question du matériau est centrale dans ma pratique. J’ai longtemps travaillé sur des performances et des installations comestibles. Mes oeuvres étaient éphémères. J’aimais le rapport sensuel de la nourriture avec le spectateur mais j’ai beaucoup été frustrée par cette fugacité. C’est pourquoi aujourd’hui je cherche à travailler avec des matériaux pérennes. Comme pour les médiums, de mon point de vue chaque matériau est une idée en soi. Ainsi en choisissant un matériau qui porte déjà en lui un message fort, on vient démultiplier la puissance des créations. La portée intellectuelle, symbolique et historique des matériaux est très importante pour moi.


De par son utilité, en mode, en ameublement, le textile a un côté tactile inné. Quand on voit un textile on imagine la sensation qu’il va nous donner sur le corps : douceur, rugosité, légèreté, chaleur. Le textile est un matériau sensuel avec un rapport direct au corps. En ayant conscience de tous ces éléments ça m’a paru évident que le textile était le matériau idéal pour aborder mes questionnements autour du corps de la femme. Je réfléchi en ce moment à d’autres projets toujours autour des questions de genre et des systèmes de domination mais c’est plutôt vers la photographie, le miroir ou encore le travail de la pierre que mes réflexions sont en train de me mener, le miroir qui me permet d’aborder des questions liées à l’image et au fait de prendre place dans la société, la pierre comme symbole de rigidité, de lourdeur. J’ai finalement une approche que je qualifierais de « globale » quant à la technique et c’est cette approche qui me permet de passer d’un médium à un autre. Plus je travaille différents matériaux plus je m’aperçois que beaucoup de gestes techniques s’entrecoupent ou peuvent être superposées à d’autre médiums. Ainsi les gestes que je produis lors du processus de teinture sont vraiment semblables à ceux que je pratiquais dans la production de mes performances culinaires. Les gestes et les protocoles sont les mêmes. 

Quels projets ou thèmes souhaitez-vous explorer dans le futur ? Y a-t-il de nouveaux médiums ou approches que vous aimeriez expérimenter ? 

Je développe depuis un an une pratique photographique axée autour de la couleur, j’ai aussi commencé à expérimenter l’Impression sur textile ainsi que le travail du miroir. J’aimerais développer des oeuvres en mixant ces trois techniques toujours autour de mes questionnements sur les rapports de domination et de genre.

Votre travail sera présenté chez Robertson Arès du 4 octobre au 2 novembre prochain dans le cadre d’une exposition individuelle. Pouvez-vous nous parler un peu de cette exposition à venir? 

Dans cette exposition c’est la question de l’expérience du monde en fonction de nos identités de genre qui est abordée. La sculpture Nu.e qui mêle corps féminins et corps masculins dans un imbroglio monumental mais doux sera exposée de manière centrale. Je dévoilerais aussi des nouvelles pièces de la série Nue ainsi que quelques nouveau formats. Je prépare quelques surprises aussi que j’ai hâte de dévoiler.

 

Pour en apprendre davantage au sujet de la pratique artistique de Delphine Huguet et pour consulter les œuvres disponibles, veuillez cliquer ici.

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